La Commission Européenne a infligé à Valve ainsi qu’à cinq éditeurs (Bandai Namco, Capcom, Focus Home, Koch Media et ZeniMax) des amendes pour avoir enfreint les règles de pratiques anticoncurrentielles de l’Union Européenne.
Ces différents acteurs avaient mis en place une entente permettant de bloquer géographiquement l’activation de certaines clés de leurs jeux, et donc leur installation, en dehors de certains pays.
Dans les faits, l’activation de certains jeux vidéo était rendue impossible en dehors de territoires cibles parmi lesquels la Tchéquie, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Par conséquent, les utilisateurs ayant acheté leur clé d’activation auprès d’un distributeur européen pourtant agréé par l’éditeur, mais résidant dans un pays géobloqué se retrouvaient dans l’incapacité d’activer le jeu sur la plateforme de Valve, Steam.
Pour sanctionner Valve et les éditeurs, la Commission s’appuie sur l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et l’article 53 de l’accord sur l’Espace Économique Européen interdisant les accords entre entreprises qui empêchent, restreignent ou faussent le jeu de la concurrence au sein du marché unique de l’UE.
Dans son enquête la Commission a également fait valoir la portée du Règlement UE 2018/302 visant à contrer le blocage géographique injustifié et d’autres formes de discrimination fondées sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement des clients dans le marché intérieur est applicable dans l’ensemble de l’Espace Économique Européen (EEE).
Si les éditeurs détiennent un droit de propriété intellectuel sur leurs œuvres qui leur permet notamment d’appliquer des politiques spécifiques de distribution, il ne demeure pas moins que l’organisation d’un circuit commercial d’un produit immatériel (ndlr : la licence de jeu) dont l’acquisition comme la circulation est par sa nature même facilitée, appelle une réflexion particulière.
Ces éditeurs ont ainsi souhaité maximiser leur organisation en optimisant le potentiel commercial de certains pays via un maillage régional et des accords de distribution garantissant l’exclusivité territoriale de la vente de leurs jeux à des distributeurs partenaires.
Ces accords de distribution mettent en place un fonctionnement contractuel permettant notamment aux éditeurs d’imposer à leurs distributeurs un cadre tarifaire, un cadre territorial, des actions marketing spécifiques, des interdictions de vente sous certaines formes et/ou plateformes, et dans le cas qui nous intéresse, une politique de restriction sur les “ventes passives”.
La “vente passive” est caractérisée par le fait, pour le distributeur, de recevoir spontanément, sans démarche préalable de sa part, des commandes de clients établis en dehors de sa limite territoriale de commercialisation.
Or, si la problématique des ventes passives subsiste sur tout produit, matériel ou immatériel, les impacts en matière d’exclusivité territoriale sont bien différents que nous nous situons dans le premier ou le second cas.
La théorie des ventes passives est à l’origine un instrument correcteur utilisé dans le but d’éviter la création d’exclusivités territoriales absolues sur le marché de vente de biens matériels au sein de l’Union européenne, selon lequel les accords verticaux qui lient les fournisseurs à leurs distributeurs et organisent la vente de biens suivant des exclusivités territoriales ne peuvent bénéficier du Règlement européen d’exemption que s’ils laissent place à la possibilité de ventes passives, lesquelles ne sont de fait qu’occasionnelles, c’est-à-dire s’ils permettent la conclusion de ventes entre un distributeur et un client final, à l’initiative du client, quelques soient leurs territoires respectifs.
A l’inverse, et en matière de distribution de produits immatériels, il apparaît que cet instrument correcteur prend une toute autre importance considérant que la commercialisation de produits immatériels est par nature facilitée par les plateformes et réseaux numériques et que le caractère occasionnel d’une vente passive peut alors facilement disparaître au profit d’un usage beaucoup plus large, sur la seule base des sollicitations des consommateurs.
C’est pourquoi dans le cas présent, les ventes passives, si elles n’étaient pas interdites par le fonctionnement de Valve et des éditeurs précités, étaient néanmoins fortement restreintes au désavantage du consommateur considérant que la clé vendue ne pouvait pas fonctionner si elle n’était pas activée dans son pays d’achat ou dans un pays non géobloqué de l’EEE.
Ceci aura été un point déterminant dans la procédure engagée par la Commission Européenne contre les éditeurs. La Commission a ici considéré que limiter ou interdire de façon arbitraire les ventes passives d’un marché, fût-il de produits immatériels, ce par le biais d’un processus de blocage géographique, occasionnait des restrictions dans le libre jeu de la concurrence et était donc constitutif d’une pratique anticoncurrentielle qu’il convenait de sanctionner.
Pratique ici aggravée par le fonctionnement mis en place qui, nonobstant de ne pas permettre l’activation du produit, permettait néanmoins bien l’acte d’achat préalable. Raison pour laquelle la Commission aura rappelé que cette restriction venait de fait limiter le choix des consommateurs en matière de sélection de distributeurs et empêchait le libre jeu de la concurrence, permettant l’accès aux prix les plus bas dans l’EEE.
Suite à cette condamnation, les éditeurs sont contraints de revoir leur stratégie de distribution et sont appelés à rester vigilants quant au bon respect de l’ensemble des règles de concurrence de l’EEE.
Cette sanction n’empêchera pas les éditeurs de continuer d’appliquer des clauses d’exclusivité territoriale dites “simples” dans leurs relations avec leurs distributeurs partenaires disposant d’exclusivités territoriales. Ces contrats pourront comporter des clauses spécifiques de distribution permettant notamment d’encadrer les plateformes et supports de vente, la spécificité des actions publicitaires, les dates de commercialisation, de limiter les éditions spéciales à certains distributeurs ou pays.
Raison pour laquelle, les éditeurs comme les distributeurs devront être particulièrement prudents lorsqu’ils seront amenés à dessiner les contours de leurs accords commerciaux, à fortiori portant sur des ventes sur canaux multiples.
A Versailles, le 12 février 2021
Nolan LOURTIES – Consultant senior
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